DEUXIÈME SAISON - BRYAN MANGIN

Des samouraïs jusqu’à nos jours

Introduction

Cité pour la première fois dans un texte du 10ème siècle, le samouraï a traversé les époques jusqu’à s’inscrire durablement dans l’inconscient collectif. Nous en avons tous une image enjolivée par de nombreux médias sans pour autant connaître en détail les siècles d’Histoire autour de ce mot qui a littéralement été adopté par toutes les langues du monde.
Ce cours n’est pas un cours d’Histoire, quand bien même je vais devoir vous parler un peu d’Histoire pour que vous compreniez l’origine du mot « samouraï », son étymologie, sa signification et son évolution au fil des siècles.
Vous découvrirez également de nombreux mots de vocabulaire ainsi qu’un nouveau suffixe honorifique et dans quel contexte l’utiliser.

L’histoire du samouraï et la propagande bushido

Qu’est-ce qu’un samouraï ?

Pour commencer, qu’est-ce qu’un samouraï ? Déformée, fantasmée, idéalisée, l’image du samouraï a traversé l’imaginaire collectif tant en Occident qu’au Japon et dans le reste de l’Asie. Largement construite à partir de visuels forts que l’on retrouve abondamment au cinéma, dans les jeux vidéo, les mangas, les animes et bien d’autres médias, un grand nombre de clichés se sont greffés sur l’image de ce guerrier japonais qui a traversé les siècles.
Beaucoup de gens sont par exemple persuadés que le samouraï était exclusivement armé d’un katana. Une arme prétendument très solide quand elle n’est pas présentée comme miraculeusement indestructible. Or, rien n’est plus faux. Un samouraï était aussi armé d’arc et de flèches entre autres. D’ailleurs, le mot « samouraï » que vous connaissez depuis le début de la saison deux est relativement récent, tandis que ce guerrier japonais, que nous appelons donc abusivement « samouraï », est apparu au 10ème siècle, ce qui ne date clairement pas d’hier. Occidentaux comme orientaux utilisent le mot « samouraï » sans véritablement connaître l’origine et le sens de ce mot, ni son évolution au fil des siècles. Les japonais eux-mêmes, pour beaucoup, ont des samouraïs une image totalement biaisée.
En fait, l’idéalisation du samouraï ne date pas d’hier non plus. Même si le processus fut progressif, nous savons aujourd’hui que la cristallisation de l’image moderne du samouraï s’est faite à un moment précis de l’Histoire. Cette cristallisation peut presque être vu comme le fait d’un seul homme, Nitobe Inazō, dont le visage était visible sur les billets de 5000 yens jusqu’en 2004.
Mais avant de parler de lui, intéressons-nous à l’étymologie de certains mots qui furent source de confusion au fil de traductions pas toujours très exactes.

L’origine du mot « samouraï »

Une erreur fréquemment commise en dehors du Japon, c’est de confondre les mots 武士 . ブシ et . さむらい. 武士 . ブシ signifie tout simplement « homme armé », soit « guerrier ». Le terme est apparu pour la première fois sous l’ère Heian (平安時代 . ヘイアンジダイ), vers l’an 900. C’est un guerrier en armure, maniant souvent l’arc, et qui est chargé de protéger son clan. . さむらい est un terme bien plus récent qui n’avait pas du tout le sens qu’on lui donne aujourd’hui. Il dérive du terme 侍ふ . さぶらふ qui signifie le fait de servir aux côtés de son maître. 侍ひ . さぶらひ désigne ce serviteur. Même si ce serviteur pouvait avoir des connaissances martiales, le 侍ひ . さぶらひ n’impliquaient pas toujours l’idée de guerriers mais plutôt l’idée de servir une personne puissante.
C’est vers la fin du 15ème siècle, et le début de la période Sengoku (戦国時代 . センゴクジダイ), que le terme se confond avec 武士 . ブシ. Cette période est en effet marquée, comme son nom l’indique, par un état de guerre constante, obligeant les 侍ひ . さぶらひ à prendre les armes pour protéger leurs maîtres. Mais en l’an 1600, on considère que le Japon s’est unifié, et c’est le début de la période Edo, une période de grande paix qui contraste avec les guerres incessantes de la période précédente. Le shogunat Tokugawa (徳川幕府 . とくがわバクフ) dirige le pays et met en place une hiérarchie de classe héréditaire. Outre l’Empereur et sa cour, presque déconnectés du reste des japonais, on distingue la classe guerrière, celle des 武士 . ブシ, à celle des paysans, des artisans et des commerçants. Au sein de la classe guerrière, on retrouve le shogun (将軍 . ショウグン), le chef des armées, qui domine de facto le pays, et chaque territoire est dirigé par un 大名 . ダイミョウ. Aux ordres des daimyos, on retrouve les 侍ひ . さぶらひ, censés servir à leurs côtés. Néanmoins, le Japon est en paix et n’a plus vraiment besoin de guerriers. Les 侍ひ . さぶらひ cessèrent donc d’être associés à la fonction guerrière pour devenir principalement des fonctionnaires. Ils s’occupaient de la collecte de redevances au nom du 大名 . ダイミョウ, se chargeaient des transports et faisaient même office de police. Ces fonctionnaires commencèrent à être appelé . さむらい. Le kanji reste le même, mais des changements dans les habitudes de langage ont changé sa prononciation.
Héritier de la classe guerrière, le . さむらい jouit de quelques privilèges. Il est notamment autorisé à porter le sabre. Mais ce n’est qu’un symbole, qu’il est loin d’utiliser au quotidien. Un . さむらい était donc avant tout un bureaucrate aristocratique héritier d’une classe de guerriers. Dès 1603, dans le premier dictionnaire japonais-portugais, 侍ひ . さぶらひ est d’ailleurs traduit par « um nobre », un noble, tandis que 武士 . ブシ est traduit par « um guerreiro », un guerrier. Ainsi, ce kanji est passé du sens de serviteur, à celui de guerrier, avant de finalement s’approcher de l’idée de fonctionnaire... du moins jusqu’à la fin de la période Edo. Nous avons une idée plus précise des origines du terme . さむらい à distinguer donc du terme 武士 . ブシ. En japonais, lorsque l’on parle de guerrier, il est effectivement plus exact d’utiliser le mot 武士 . ブシ que . さむらい.
Maintenant, il va s’agir de comprendre comment nous sommes arrivés à cette vision moderne du guerrier japonais.

L’idéalisation du samouraï en Occident

Son idéalisation s’est faite à partir de certains écrits qui ont cherché a posteriori à décrire ce qu’est un vrai guerrier. Intéressons-nous tout d’abord au Kōyō Gungan (甲陽軍鑑 . コウヨウグンガン). C’est un recueil compilant les exploits militaires du clan Takeda (武田氏 . たけだ) au 16ème siècle. Ce recueil aurait été complété vers le début du 17ème siècle, donc en période de paix, et mentionne des faits vieux de plus de 60 ans. Un terme a priori jamais vu jusque-là est mentionné : 武士の道 . ブシドウ / 武士の道 . ブシのみち, littéralement « la voie du guerrier ». Ce terme n’a aucunement la prétention de définir un hypothétique code samouraï. C’est plutôt une façon de décrire les actes des guerriers du clan Takeda, non sans idéalisation, parlant de courage et de la faiblesse des lâches. Le terme sera repris ici et là dans quelques écrits, mais ne marquera pas les esprits.
Ce n’est qu’au début du 18ème siècle qu’apparaîtra pour la première fois le terme 武士道 . ブシドウ, tel que nous le connaissons aujourd’hui, dans le 葉隠 . はがくれ, une compilation de pensées énoncées par le guerrier Tsunetomo Yamamoto (山本 常朝). 葉隠 . はがくれ signifie littéralement « à l’ombre des feuilles » ou « caché dans le feuillage ». Ce texte se veut être un guide spirituel et pratique pour tout guerrier qui se respecte. Le 武士道 . ブシドウ prend un nouveau sens : le guerrier suivant le 武士道 . ブシドウ doit se considérer comme déjà mort pour son maître.
Mais le 葉隠 . はがくれ révèle surtout un point de vue biaisé. Yamamoto a écrit ce texte en fin de vie ; il était nostalgique d’une époque guerrière qu’il n’avait lui-même pas connu. Il idéalisait le suicide rituel qu’il voyait comme la forme ultime de l’honneur. La pratique lui avait d’ailleurs été refusée à la mort de son maître. Il déplore le comportement des guerriers de son époque qu’il fait contraster à ceux d’antan, dont la morale était prétendument exceptionnelle. Loin d’être fondé sur des faits historiquement fiables, le 葉隠 . はがくれ est avant tout une réflexion personnelle, non sans idéalisation, sur la voie que devrait soi-disant suivre le guerrier. Ce texte fut d’ailleurs pendant très longtemps ignoré, car conservé au sein du clan Nabeshima (鍋島氏 . なべしま). Mais si je vous en parle, c’est parce que plus de 150 ans après son écriture, au milieu de la période Meiji (明治時代 . メイジジダイ), le texte refait surface et attire l’attention du grand public.
Le Japon est en effet sorti de sa période de paix lors de la guerre de Boshin (戊辰戦争 . ボシンセンソウ) opposant les forces impériales à celles du shogun et commence à se moderniser de façon autoritaire. Au sein de l’imaginaire collectif, les guerriers d’antan sont idéalisés : ce sont des guerriers qui se battaient exclusivement au sabre et n’avaient pas recours aux armes à feu, contrairement à ce qui s’est vu lors de la guerre de Boshin ou même pendant la période Sengoku. Le 葉隠 . はがくれ contribue à renforcer cette image populaire du guerrier courageux et valeureux, prêt à mourir pour son maître.
En l’an 1900, cette idéalisation va prendre une tout autre ampleur. C’est l’année où est publié l’écrit qui va achever de cristalliser la figure du samouraï. Son auteur, c’est Nitobe Inazō (新渡戸 稲造), un diplomate japonais qui va acquérir une certaine renommée. Son livre s’appelle « Bushido : The Soul of Japan ». Et si je donne le titre de ce livre en anglais, c’est justement parce qu’il a été écrit... en anglais. Et c’est sans doute là l’une des raisons de l’importance que va prendre ce livre.
Nitobe a reçu une éducation dans le nord du Japon à Sapporo, un endroit plutôt isolé du reste du pays à cette époque. Il est rapidement converti au christianisme et poursuit des études en Europe et aux États-Unis. Devenu bilingue anglais, il pose ses bagages en Californie en 1899 et se lance dans l’écriture de « Bushido : The Soul of Japan ». Pour Nitobe, c’était une façon de renouer avec ses racines tout en faisant découvrir sa culture au monde. Il cherchera à rendre le plus accessible possible son livre pour les occidentaux et ne cessera de comparer les valeurs guerrières japonaise aux valeurs chrétiennes et à celle de la chevalerie européenne. Il reprend à son compte le terme 武士道 . ブシドウ et cristallise sa définition. Ce serait soi-disant un code d’honneur suivi par tous les samouraïs. C’est ainsi que commence à se répandre sur la scène internationale, un livre qui idéalise la figure du samouraï. Le terme 武士道 . ブシドウ se popularise alors qu’il est très peu utilisé au Japon, hors des textes précédemment cités. Le samouraï devient une figure morale et le seppuku (切腹 . セップク), véritable rite, se retrouve idéalisé comme la forme ultime de l’honneur. Le président des États-Unis, Théodore Roosevelt lui-même, sera profondément marqué par ce livre et le « fine samurai spirit ». Le mot samouraï achève définitivement en Occident de prendre le sens de « guerrier japonais ».

L’idéalisation du samouraï au Japon et la propagande d’État

Comble de l’ironie, le livre n’est traduit en japonais que quelques années plus tard et y reçoit un accueil très critique. Parmi ses détracteurs, on retrouve Inoue Tetsujirō (井上 哲次郎), philosophe nationaliste ayant étudié à l’étranger. Il affirme que le christianisme est totalement incompatible avec la culture japonaise. Si le 武士道 . ブシドウ selon Nitobe est rejeté, le terme est néanmoins loin de l’être par Tetsujirō, les autres penseurs nationalistes, et plus généralement les japonais. Pour définir le 武士道 . ブシドウ, il se réfère plutôt à l’une des influences de la vision de Nitobe : le 葉隠 . はがくれ.
Le 武士道 . ブシドウ s’ancre ainsi définitivement dans la pensée japonaise et se mêle progressivement aux pensées impérialistes. Le 葉隠 . はがくれ lui-même se popularise largement. Jirō Matsunami (松波 治郎) en fait l’éloge en 1938 et le philosophe Tetsurō Watsuji (和辻 哲郎) écrit une version abrégée à l’intention des soldats japonais. Le 武士道 . ブシドウ et le 切腹 . セップク deviennent largement utilisé par la propagande d’État. C’est ainsi que l’image du guerrier honorable, prêt à mourir pour son pays, se répand bien plus intensément au Japon. La suite donnera lieu à un fanatisme absolue des soldats envers l’Empereur qu’ils défendent. Aussi étrange que cela puisse paraître, les soldats japonais de la seconde guerre mondiale sont sans doute les premiers à avoir suivi la voie fantasmée du samouraï.

L’image du samouraï après la défaite du Japon

Après la défaite du Japon, le 武士道 . ブシドウ et tout ce qu’il incarne perd en popularité. Mais ce n’est que temporaire. Akira Kurosawa (黒澤 明), célèbre réalisateur japonais, descendants d’une famille de samouraïs ayant grandi dans ce Japon impérialiste, réalise un film en 1954. Ce film, épique de plus de trois heures, relate la défense d’un village par sept guerriers. Ce sont « les sept samouraïs », en japonais 七人の侍 . シチニンのさむらい. C’est un énorme succès critique jusqu’en Occident. Akira Kurosawa n’en avait probablement pas conscience, mais il venait d’offrir au monde l’un des visuels les plus saisissants du samouraï. Le film se déroule pendant la période Sengoku. Mais c’est sans surprise la prononciation actuelle « samouraï » qui est utilisée.
Au Japon, Kurosawa est parfois critiqué pour avoir voulu glorifier les ancêtres de ses ancêtres. Le film ne fait jamais référence à un quelconque 武士道 . ブシドウ. Mais pour les occidentaux qui considère toujours la vision de Nitobe comme la référence, difficile de ne pas dresser un parallèle. Yukio Mishima (三島 由紀夫), fervent lecteur de littérature occidentale et écrivain se considérant comme adepte du 武士道 . ブシドウ, publie son propre commentaire du 葉隠 . はがくれ en 1967.
Trois ans plus tard, après un coup d’État raté qui avait pour but de restaurer l’armée japonaise, il marque les esprits en se suicidant en public tel le ferait un samouraï respectant le soi-disant 武士道 . ブシドウ. Ces exemples illustrent une nouvelle réalité. Progressivement, la vision chevaleresque du samouraï telle que décrite par Nitobe, gagne le Japon. Et en 1980, 80 ans après son écriture, le livre atteint son pic de popularité au Japon. En 1984, les portraits sur les billets de banques japonais sont modifiés. Nitobe est choisi pour apparaître sur les billets de 5000 yens, preuve de sa nouvelle reconnaissance acquise.

L’image du samouraï aujourd’hui

Aujourd’hui encore, la vision du samouraï continue ainsi d’être idéalisé. Comme dit dans l’introduction, peu de japonais savent véritablement sur quoi repose l’image du samouraï et son fameux code d’honneur, le 武士道 . ブシドウ. Mais au fond, il n’y a rien d’étrange à cela. Dans pratiquement toutes les sociétés humaines, passées et présentes, l’idéalisation et la glorification de figures historiques est monnaie courante. Pour faire un parallèle avec la culture occidentale, l’image des chevaliers en Europe a suivis un traitement similaire. Comme quoi, l’Histoire officielle d’un pays repose à la fois sur la véracité historique et une vision biaisée du passé donnant naissance à des traditions fictives inventées de toutes pièces.
Et nous avons tous besoin de traditions auxquelles nous rattacher.

Finalement

Nous avons donc retracé l’histoire de l’idéalisation du guerrier japonais au cours du temps. Un premier texte a proposé une vision personnelle du guerrier japonais. Et finalement un expatrié japonais a synthétisé des traditions fictives dans un livre en anglais et a ainsi achevé de cristalliser la vision moderne du samouraï en Occident, vision qui finira par lentement influencer le Japon. De toute l’histoire, les manifestations les plus proches du 武士道 . ブシドウ sont probablement à retrouver du côté des soldats de la Seconde Guerre Mondiale ou chez Yukio Mishima, qui ironiquement étaient convaincus d’agir comme leurs ancêtres.
Aujourd’hui, l’Occident ne fait presque plus de distinction entre le samouraï et le bushi. Même en japonais de nos jours, le terme . さむらい s’est rapproché de 武士 . ブシ, au point de parfois même s’y confondre. Cela dit, certains créateurs et créatrices japonais/es, qu’ils soient mangakas, animateurs/trices, écrivains/es, scénaristes ou développeurs/ses de jeux vidéo, s’efforcent de faire attention à l’utilisation des mots 武士 . ブシ et . さむらい.
Ainsi, dans le jeu Ghost of Tsushima, l’action se déroule au 13ème siècle et l’histoire narre le combat d’un samouraï contre les forces mongoles qui tentent d’envahir le pays. Dans toutes les versions en langues occidentales, le mot « samouraï » est ostensiblement utilisé. Mais en japonais, le soin a été pris d’utiliser les mots 武士 . ブシ, 勇士 . ユウシ ou encore 戦士 . センシ. Le mot . さむらい n’apparaît que quelque fois. Le mot 強者 / . つわもの est aussi utilisé.
J’espère que toutes ces explications ont éclairci à vos yeux l’image du samouraï. Maintenant que tout cela a été démystifié, nous allons pouvoir décortiquer un peu de vocabulaire.

Vocabulaire

Récapitulons un peu tout le vocabulaire que nous avons vu plus haut. Vous retrouverez ci-dessous tout le vocabulaire que nous avons vu plus haut et quelques autres mots supplémentaires.
. さむらい . Le samouraï (apparu pour la première fois au 10ème siècle, sa prononciation a évolué jusqu’à celle que nous connaissons aujourd’hui. Désignant tout d’abord un serviteur prêt à prendre les armes pour défendre son maître, il désignera un fonctionnaire, héritier de la classe guerrière sous l’ère Meiji. C’est ce mot qui fut popularisé dans le monde occidental.)
武士 . ブシ . Le samouraï, le guerrier (souvent synonyme de « samouraï ».)
勇士 . ユウシ . Le guerrier (souvent synonyme de « samouraï » et « bushi », la présence du kanji ajoute le sens de « bravoure » / « courage ».)
戦士 . センシ . Le guerrier, le soldat (n’est pas synonyme de « samouraï ». Il désigne généralement n’importe quelle catégorie de soldats.)
強者 / . つわもの. Le guerrier, le soldat (terme très ancien, vous êtes peu susceptible de le rencontrer.)
大名 . ダイミョウ . Le daimyo / le daïmio (titre nobiliaire japonais. Ce terme désigne les principaux gouverneurs de provinces issus de la classe militaire qui régnaient sur le Japon sous les ordres du shogun, de l’époque de Muromachi, à celle d’Edo.)
将軍 . ショウグン . Le shogun (titre indiquant souvent le dirigeant de facto du Japon (dictateur militaire), alors même que l’Empereur restait le dirigeant de jure (en quelque sorte le gardien des traditions). Le dernier shogunat, celui des Tokugawa, prit fin avec la Restauration Meiji.)
戦国時代 . センゴクジダイ . La période (ou ère) Sengoku (époque de l’histoire du Japon marquée par des turbulences sociales, des intrigues politiques et des conflits militaires quasi permanents, qui s’étend du milieu du 15ème siècle à la fin du 16ème siècle.)
明治時代 . メイジジダイ . La période (ou ère) Meiji (débutée en 1868 avec l’empereur Mutsuhito, cette ère a marqué la fin de l’isolement du Japon et son ouverture progressive vers l’Occident sous l’impulsion des occidentaux, notamment des américains. Le Japon devient alors une puissance industrielle.)
徳川幕府 . とくがわバクフ . Le shogunat Tokugawa (dynastie de shoguns qui dirigèrent le Japon de 1603 à 1867. Leur règne est plus connu sous le nom d’époque d’Edo, du nom de la ville qu’ils choisirent pour capitale.)
戊辰戦争 . ボシンセンソウ . La guerre de Boshin (guerre civile japonaise qui débuta en janvier 1868 sous le règne de l’Empereur Meiji, quelques mois après la restitution du pouvoir suprême à l’Empereur, et qui se poursuivit jusqu’en mai 1869. Elle opposa les troupes impériales, favorables à une politique d’ouverture et de modernisation continue et les samouraïs rebelles qui refusaient de perdre leurs privilèges au détriment du reste de la population.)
武士道 . ブシドウ . La voie du guerrier / samouraï (apparu pour la première fois au début du 18ème siècle dans le 葉隠 . はがくれ, sa définition est cristallisée deux siècles plus tard par Inazō Nitobe. Il est souvent présenté comme le code d’honneur suivi par tous les samouraïs.)
甲陽軍鑑 . コウヨウグンガン . Le Kōyō Gungan (recueil compilant les exploits militaires très idéalisés du clan Takeda au 16ème siècle. Vraisemblablement complété vers le début du 17ème siècle, donc en période de paix, il mentionne des faits vieux de plus de 60 ans. Le terme 武士の道 . ブシドウ / 武士の道 . ブシのみち a priori jamais vu jusque-là y est mentionné pour la première fois.)
葉隠 . はがくれ . Le Hagakure (compilation de pensées énoncées par le guerrier Tsunetomo Yamamoto, c’est dans cette ouvrage que le concept de guide spirituel pour les guerriers apparaîtra pour la première fois.)
切腹 . セップク . Le seppuku (suicide rituel masculin par éventration, apparue au Japon vers le 12ème siècle dans la classe des samouraïs. Officiellement abandonné en 1868.)
. かたな . Le katana (symbole de son statut social, les samouraïs étaient les seuls autorisés à porter un katana. Sous l’ère Meiji, il devient interdit aux samouraïs de porter leur fameux katana. Contrairement aux idées reçues et à l’image romanesque véhiculées par la culture populaire, le katana n’était pas l’unique arme que maniait les samouraïs. Ils utilisaient aussi l’arc et les flèches.)
山本 常朝 . Tsunetomo Yamamoto (samouraï du clan Nabeshima, vraisemblablement né vers la fin du 17ème siècle ou vers le début du 18ème, il a écrit le 葉隠 . はがくれ.)
松波 治郎 . Jirō Matsunami (écrivain japonais né le 9 juillet 1900, mort le 15 avril 1958.)
和辻 哲郎 . Tetsurō Watsuji (philosophe et penseur japonais, né le 1er Mars 1889 et mort le 16 Décembre 1960.)
新渡戸 稲造 . Nitobe Inazō (né le 1er septembre 1862, troisième fils d’une éminente famille de samouraïs, il entre à l’école agricole de Sapporo. Rapidement converti au christianisme, il poursuit des études en Europe et aux États-Unis. Bilingue anglais, il écrit en anglais un ouvrage qui contribuera à populariser l’image du samouraï d’abord en Occident, puis au Japon.)
黒澤 明 . Akira Kurosawa (né le 23 Mars 1910 à Tokyo et mort le 6 septembre 1998 dans la même ville. Célèbre réalisateur japonais, descendants d’une famille de samouraïs ayant grandi dans le Japon impérial. Il a réalisé plus de trente films en cinquante-sept ans de carrière cinématographique.)
三島 由紀夫 . Yukio Mishima (né le 14 janvier 1925 à Shinjuku, Tokyo, de son vrai nom 平岡 公威. Fervent lecteur de littérature occidentale et écrivain se considérant comme adepte du 武士道 . ブシドウ, il publie son propre commentaire du 葉隠 . はがくれ en 1967. Il se suicide par seppuku le 25 Novembre 1970.)

Un nouveau suffixe honorifique

Une mise en contexte d’abord

Nous allons maintenant découvrir un nouveau suffixe honorifique. Un seul cette fois-ci, et qui était très utilisé à l’époque du Japon féodal.
Vous connaissez déjà le suffixe さん. C’est le tout premier suffixe honorifique japonais que je vous ai donné à apprendre. Si さん est le suffixe un peu passe-partout, utilisé pour s’adresser respectueusement à un membre de sa famille ou à une personne dans la rue ou à un/e collègue de travail… il a existé un autre suffixe honorifique, utilisé comme dit plus haut à l’époque du Japon féodal, dans les couches élevées de la société japonaise. C’est le suffixe . うえ.
Employé exclusivement au sein des familles de samouraïs et autres familles issues de l’aristocratie japonaise, le suffixe . うえ est assez méconnu. Vous le retrouverez principalement dans des œuvres japonaises où l’action se déroule dans le passé – à l’époque du Japon féodal donc – et qui se veulent très respectueux de la véracité historique et de la manière dont les japonais parlaient à cette époque. Chose pas toujours aisée à faire bien entendu puisque le japonais parlé au 13ème siècle par exemple, n’avait absolument rien à voir avec le japonais parlé de nos jours. Et pour qu’une œuvre écrite de nos jours et dont l’action se déroule dans le Japon féodal soit compréhensible par nous qui sommes présent aujourd’hui, le ou les scénaristes doivent donc faire des concessions. Je cite à nouveau le jeu Ghost of Tsushima où, dans la version japonaise, le protagoniste Jin Sakai, issu d’une famille de samouraïs, utilise le suffixe . うえ pour s’adresser aux membres de sa famille ou pour parler d’eux à un tiers. Idem dans certains anime comme 平家物語 . ヘイケものがたり. Je vous le recommande vivement.

Comment ça marche

Vous savez déjà comment parler des membres de sa propre famille et comment s’adresser au membre de sa propre famille. Nous avons vu tout cela plus tôt dans cette quatrième partie.
Ainsi, si vous voulez parler de votre mère, de votre père ou de n’importe quel autre membre de votre famille à un tiers, vous allez dire :
. ちち . Mon père
. はは . Ma mère
. あに . Mon frère aîné
. あね . Ma sœur aînée
伯父 . おじ . Mon oncle aîné
伯母 . おば . Ma tante aînée
叔父 . おじ . Mon oncle cadet
叔母 . おば . Ma tante cadette

Et quand vous allez vous adressez respectueusement à un membre de votre famille, vous allez dire :
さん . おとうさん . Père
さん . おかあさん . Mère
さん . おにいさん . Grand frère
さん . おねえさん . Grande sœur
伯父さん . おじさん . Oncle, tonton (plus âgé)
伯母さん . おばさん . Tante, tata (plus âgée)
叔父さん . おじさん . Oncle, tonton (plus jeune)
叔母さん . おばさん . Tante, tata (plus jeune)

Okay ! Tout cela, vous savez le faire, vous savez comment ça se passe. Maintenant, imaginez-vous dans le Japon féodal dans une famille de samouraï.
Si vous voulez parler de votre mère, de votre père ou de n’importe quel autre membre de votre famille à un tiers, vous allez dire :
. ちちうえ . Mon père
. ははうえ . Ma mère
. あにうえ . Mon frère aîné
. あねうえ . Ma sœur aînée
伯父. おじうえ . Mon oncle aîné
伯母. おばうえ . Ma tante aînée
叔父. おじうえ . Mon oncle cadet
叔母. おばうえ . Ma tante cadette

Et quand vous allez vous adressez respectueusement à un membre de votre famille, vous allez dire… la même chose.
Nous pouvons d’ores et déjà noter plusieurs différences. La première est que, dans l’aristocratie du Japon féodal, que vous parlez de votre mère, de votre père ou de n’importe quel autre membre de votre famille à un tiers ou que vous vous adressez respectueusement à un membre de votre famille, DANS LES DEUX CAS DE FIGURE, vous devez montrer votre respect en utilisant le suffixe honorifique . うえ. Notez également que le honorifique pour les membres de la famille n’était pas encore présent à cette époque. Enfin, le suffixe honorifique . うえ s’utilise uniquement pour les membres de famille plus âgées que soi.
D’après mes recherches, il n’existait pas de préfixes ou suffixes honorifiques pour les membres de la famille plus jeunes que soi. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque de respect, loin de là. Les membres plus jeunes de la famille gagnaient tôt ou tard le suffixe honorifique leurs correspondant en vieillissant auprès des plus jeunes. Et ainsi de suite.
Note : toujours dans le Japon féodal, j’espère que vous avez bien compris qu’en dehors de l’aristocratie japonaise, les gens du peuple utilisaient déjà le suffixe さん.

Quand des personnes du bas-peuple s’adressaient à des nobles

Les nobles avaient bien entendu à leur service des serviteurs, des servantes, des dames de compagnie… tout un personnel généralement issu de la classe populaire. Comment ces gens s’adressaient-ils à leurs seigneurs ou parlaient-ils d’eux ?
La réponse est très simple puisque nous avons déjà vu des suffixes honorifiques dans le cours précité au tout début. Ils employaient bien évidemment le suffixe 殿 . との/どの ou le suffixe . さま après le nom de leur seigneur. S’il s’agissait d’une femme de l’aristocratie, ils utilisaient le mot 奥方 . おくがた + . さま.
Note : bien que j’aie indiqué dans le cours précité que les suffixes honorifiques s’utilisent TOUJOURS après le nom d’une personne ou d’un métier, le suffixe 殿 . との/どの peut parfois s’utiliser seul. En principe, ce n’est pas correct. Le seul exemple que je peux vous donner est le premier épisode de l’anime Dororo de 2019 où l’épouse du seigneur Daigo s’adresse à ce dernier en disant simplement 殿 . との/どの.
Enfin, bien que le suffixe 殿 . との/どの est souvent considéré comme exclusivement réservé à des hommes, il n’est pas impossible que des femmes se voyaient attribuées ce suffixe.
Enfin, lorsqu’un/e domestique devait mentionner à un noble un de ses parents (un parent du noble j’entends), il/elle disait respectueusement :
.ちちうえ . Votre père
.ははうえ . Votre mère
.あにうえ . Votre frère aîné
.あねうえ . Votre sœur aînée
伯父. おじうえ . Votre oncle aîné
伯母. おばうえ . Votre tante aînée
叔父. おじうえ . Votre oncle cadet
叔母. おばうえ . Votre tante cadette

Vous remarquerez que les domestiques rajoutaient le préfixe honorifique . Le rajout de ce préfixe traduisait la différence de statut entre eux et les nobles qu’ils servaient. Bien entendu, il n’est pas nécessaire de rajouter ce préfixe pour les oncles et tantes puisque les kanji et se prononcent déjà .

Petit aparté sur le suffixe honorifique 氏

Nous avons vu le suffixe honorifique .. Si vous avez bien lu le cours, vous aurez remarqué qu’il est aussi utilisé après les noms de clans. Ci-dessous, les exemples vus dans ce cours :
武田氏 . たけだ. Le clan Takeda
鍋島氏 . なべしま. Le clan Nabeshima

Finalement

Pour finir, le suffixe honorifique . うえ est-il encore utilisé de nos jours ? Je l’ignore. Si nous partons du fait que l’aristocratie japonaise est aujourd’hui abolie, alors ce suffixe honorifique ne fait plus partie du language courant. Cela dit, la famille impériale japonaise existe encore mais j’ignore totalement s’il utilise les mêmes suffixes honorifiques que tous les japonais lorsqu’il s’agit de se parler entre membres de la même famille.

Autres exemples d’évolution des kanji

Le lexique des domestiques

Le mot « samouraï » n’est pas le seul dont la signification a évolué au fil des siècles. Ci-dessous, je vous donne quelques autres mots que vous retrouverez dans les exercices. Observez bien ces mots et comment ils se prononcent. Ensuite, nous les analyserons longuement :
下女 . しもおんな / ゲジョ . La servante, la bonne
下女中 . しもジョチュウ . La servante, la bonne (assez rare de nos jours)
女中 . ジョチュウ . La servante, la bonne (version raccourcie)
下男 . しもおとこ / ゲナン . Le servant, le serviteur
下僕 . ゲボク . Le servant, le serviteur
侍女 . ジジョ . La dame de compagnie, la femme de chambre
下人 . ゲニン . Le serviteur
下女下男 . ゲジョゲナン . Les serviteurs
女房 . ニョウボウ . La dame de compagnie
上の女房 . うえの ニョウボウ . La dame de compagnie (exclusivement au service de l’Empereur)

Pour que vous sachiez, 女房 . ニョウボウ est un terme apparu à l’époque Heian et qui désigne des dames de compagnie haut placées, issues de la moyenne et basse noblesse. Choisies pour leur instruction et leur goût, elles étaient amenées à servir soit une femme noble de plus haut rang, soit l’impératrice en personne et sa famille. Certaines étaient même amenées à servir l’Empereur et dans ce cas, elles étaient appelées 上の女房 . うえのニョウボウ. La plupart d’entre elles étaient d’ailleurs femmes de lettres et poétesses ayant livrées à l’humanité des œuvres impérissables.

Le contexte historique

Si nous prêtons attention aux mots 下女 et 下男, ils ont une prononciation purement japonaise puisque, encore une fois, les japonais n’ont pas attendu d’avoir les prononciations sino-japonaises des kanji pour créer un mot afin de désigner les domestiques. De plus, il faut savoir que les deux prononciations ont fini par cohabiter au sein de la langue. Et cela pour une raison très simple.
Lorsque les kanji furent importés par les moines bouddhistes de l’actuel Corée vers le Japon et que ces derniers adaptèrent les prononciations chinoises à la langue japonaise, ils enseignèrent cette langue japonaise alors réformée. Logiquement, les premières personnes qui eurent accès à cet enseignement furent les classes sociales les plus élevées. Notamment la famille impériale, l’aristocratie et les familles de samouraïs les plus aisées. Les classes sociales les plus élevées commencèrent donc à utiliser au quotidien les prononciations sino-japonaises tandis que les gens du bas-peuple continuèrent à utiliser les prononciations purement japonaises puisqu’eux n’avaient pas accès à cette éducation. Les classes sociales élevées employaient des mots comme 下男 . ゲナン, 下僕 . ゲボク ou encore 下人 . ゲニン, tandis que les classes populaires employaient les mots 下女 . しもおんな et 下男 . しもおとこ. Toutefois, certaines personnes parvenant à s’élever socialement, notamment la classe des marchands, accédèrent par conséquent à une meilleure éducation et une meilleure maîtrise de la langue.
Même en dépit de cela, le niveau d’illettrisme resta particulièrement élevé dans le Japon féodal, ce qui peut expliquer comment les deux prononciations, purement japonaise comme sino-japonaise, ont survécu jusqu’à aujourd’hui. Il faudra attendre la Restauration Meiji où le pouvoir impérial contraignit l’ancienne classe des samouraïs à devenir des fonctionnaires. Et devenir fonctionnaire signifiait recevoir une éducation plus littéraire que militaire. Apprendre à lire, à écrire et à compter entre autres. Bien entendu, la plupart des samouraïs qui acceptèrent de se plier à la volonté réformiste de l’Empereur purent intégrer l’armée et la marine impériale.
Certes, j’ai dit plus haut que la classe des samouraïs avait accès à l’éducation au temps du Japon féodal mais il y a une distinction importante à faire. L’éducation à cette époque-là se concentrait sur l’art de la guerre, la maîtrise du katana et de l’arc entre autres. Ils apprenaient bien à lire, écrire et compter mais ces disciplines-là n’étaient pas considérées comme les plus importantes.
Retour à l’ère Meiji. En 1868 dans la deuxième moitié du 19ème siècle, avec l’empereur Mutsuhito. Cette ère a marqué la fin de l’isolement du Japon et son ouverture progressive vers l’Occident sous l’impulsion des occidentaux, notamment des américains. C’est durant cette période que le Japon va découvrir énormément de choses propres à l’ère industrielle en Occident tel que les trains, les chemins de fer, les bateaux à vapeur, les livres et autres traités de médecines. Les mœurs changent, les habitudes vestimentaires aussi. Sous les vives critiques des occidentaux, il devient interdit aux japonais d’arborer ostensiblement des tatouages. Ouverture à l’extérieur signifie développement du tourisme. Les ryokans et toutes les formes de commerces gravitant autour profitent de cette nouvelle manne financière. Le chamboulement sociétal est sans précédent dans l’Histoire du pays.
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis forcèrent l’Empereur Hirohito, au nom duquel le Japon avait combattu les Alliés, à renoncer à tout lien avec la divinité solaire Amaterasu. Hirohito contribua également à donner une légitimité à la nouvelle constitution japonaise de 1947, abolissant l’aristocratie japonaise, tournant le dos au concept d’expansion impériale et faisant de l’Empereur une simple figure symbolique.

Comment des changements politiques influencent une langue

Arrêtons-nous sur ce dernier point : l’abolissement de l’aristocratie japonaise. Avec tout ce que je viens de raconter, la langue japonaise a subi de nombreux changements.
Depuis l’ouverture à l’Occident sous l’ère Meiji, des mots étrangers et principalement anglais ont commencé à être intégrés, ce phénomène va se retrouver amplifié par la période d’occupation américaine. Des mots anglais se mélangent au sein des discussions entre japonais, l’arrivée de genre musicaux comme le rock’n roll apporte également son lot de mots anglais, etcétéra.
Pour en revenir à la liste de mots que je vous ai présentée plus haut – le lexique des domestiques –, des changements ont vu le jour. Revoyez d’abord les mots ci-dessous :
下女 . しもおんな / ゲジョ . La servante, la bonne
下女中 . しもジョチュウ . La servante, la bonne (assez rare de nos jours)
下男 . しもおとこ / ゲナン . Le servant, le serviteur
下僕 . ゲボク . Le servant, le serviteur
下人 . ゲニン . Le serviteur
下女下男 . ゲジョゲナン . Les serviteurs
女房 . ニョウボウ . La dame de compagnie
上の女房 . うえの ニョウボウ . La dame de compagnie (exclusivement au service de l’Empereur)

Les mots ci-dessus ont progressivement été de moins en moins utilisés. Un phénomène tout à fait logique puisque ce lexique était principalement utilisé par les membres de l’aristocratie japonaise désormais abolie. Cela dit, s’ils sont moins présents dans les discussions de la vie courante, ils restent très utilisés dans les œuvres de fiction, romans, films, séries et même jeux vidéo.
D’autres mots comme 女中 . ジョチュウ et 侍女 . ジジョ ont bien mieux survécus. Le premier est utilisé aujourd’hui encore dans les ryokans et les restaurants traditionnels pour désigner la femme qui s’occupe des chambres et de l’accueil des clients, parfois de faire la cuisine et de servir les plats. Le deuxième est relativement récent et désigne la femme de chambre au service d’une riche famille.
Enfin, nous avons deux mots anglais, メイド (de l’anglais « maid ») y バトラー (de l’anglais « butler »), très présents dans les mangas, les animes, les light novels et la plupart des jeux vidéo nippons, sans oublier les fameux メイドカフェ (de l’anglais « maid café ») et autres lieux… particuliers. La liste serait bien trop longue donc je vous laisse chercher par vous-même si le cœur vous en dit.

Le défi de la langue japonaise aujourd’hui

Au final, est-ce que les mots empruntés à l’anglais tendent à remplacer leurs équivalents en kanji ? Selon moi, la réponse est clairement non.
Certes, le Japon fait face depuis plusieurs années à un sérieux problème auprès des jeunes générations de japonais : enfants, adolescents comme jeunes adultes. Et plus si jeunes d’ailleurs puisque le problème se fait ressentir même auprès d’adultes de plus de trente ans ! Ces derniers ne maîtrisent plus leurs kanji, la faute à une utilisation intempestive d’outils numériques (ordinateurs, tablettes, smartphones). Dans les cas les plus graves, des japonais ne sont même plus capables d’écrire leur nom de famille et leur prénom en kanji comme il se doit, tout simplement parce qu’ils ne se souviennent plus comment écrire les kanji. De plus en plus de choses du quotidien se font via des outils numériques et les japonais ne sont plus tellement contraints d’écrire les kanji à la main. À cela s’ajoute l’américanisation progressive du pays qui influence alors la langue. Les emprunts à la langue anglaise sont bien plus nombreux qu’ils ne l’étaient le siècle précédent. Vous avez pu vous en rendre compte par vous-même à travers tout le vocabulaire que je vous ai donné à apprendre jusqu’à présent. Les mots anglais sont partout et ils ne manqueront pas au rendez-vous dans la troisième saison, soyez-en sûrs/es.
Et pourtant les mots en kanji demeurent nombreux et leur utilisation également. Ce paradoxe peut s’expliquer par le fait que sur les outils numériques, les japonais disposent de logiciels avec des correcteurs automatiques toujours plus performants, fonctionnant avec des I.A toujours plus efficaces, capables de comprendre le contexte de la phrase en train d’être tapée sur le clavier numérique et pouvant ainsi suggérer des mots, phrases et expressions toute faites. Et avec des kanji bien évidemment ! Ainsi, beaucoup de japonais arrivent à ‘‘utiliser’’ les kanji, ils en comprennent le sens même s’ils ne se souviennent pas forcément de la prononciation et qu’ils sont bien incapables de se souvenir du tracé lorsqu’il s’agit de les écrire à la main.
Pour autant, les kanji ne vont pas disparaître. Ces idéogrammes qui ont intégré la langue japonaise il y a des siècles en arrière et qui font désormais partie de l’ADN de tout un peuple ne peuvent être substitués si facilement.
Du moins, j’espère qu’il n’en sera pas ainsi...

Deux derniers mots avant de se quitter

手伝い .てつだい . La servante ; l’aide
手伝いさん .てつだいさん . La servante ; l’aide

Ces deux mots sont plutôt récents comparés à d’autres mots vus plus haut. Les mots 下女, 下女中, 下男, 下僕, 下人 et 下女下男 ne sont pas tout à fait synonymes. Si vous faîtes bien attention, tous ces mots contiennent le kanji qui apportent une connotation assez négative. Du moins, selon le contexte, c’est ainsi que ces mots pourraient être perçus. Si les mots pour dire « servant/e » contiennent ce kanji et étaient utilisés par les nobles pour s’adresser à leurs subalternes, ce n’est pas un hasard. C’était une façon de représenter graphiquement le statut inférieur des personnes concernées.
Le mot 手伝いさん .てつだいさん de même sens est plus respectueux avec la présence du préfixe honorifique et du suffixe honorifique さん.
Le mot 手伝いさん .てつだいさん est utilisé pour s’adresser respectueusement à toutes les personnes effectuant un métier consistant à assurer une aide ou des soins particuliers. Généralement une aide-ménagère, une cuisinière ou une infirmière à domicile.
Notez que le mot n’est pas féminin. Vous le savez déjà, il n’existe aucun système de genre en japonais. Toutefois, dans la culture japonaise, toutes les personnes effectuant ce genre de métiers sont presque exclusivement des femmes, le fruit de clichés se perpétuant depuis des siècles jusqu’à nos jours.

Le Point Culture

Deux mots pour désigner la même chose

À propos, nous avons vu le mot 切腹 . セップク qui désigne le suicide rituel masculin par éventration. Il existe pourtant un autre mot qui désigne exactement la même chose : 腹切り . はらきり. Ce sont les mêmes kanji, mais inversés avec une prononciation purement japonaise.
En fait, je reviens sur ce que je vous avais expliqué plus haut avec les mots 下女 et 下男.
Le suicide par éventration est apparu dans la classe des samouraïs vers le 12ème siècle. Les kanji étaient déjà présents dans la langue japonaise et pourtant ces deux mots se sont retrouvés à cohabiter. En fait, les Japonais n’utilisaient jamais le terme 腹切り . はらきり ou seulement lorsqu’ils entendaient désigner le suicide des petites gens, avec une connotation quelque peu méprisante. Par contre, lorsque le suicidé était une personne haut placée dans la hiérarchie de la société nippone, les japonais parlaient alors de 切腹 . セップク, et toujours quand le suicidé étaient un samouraï ou appartenait à la caste des aristocrates.
Aujourd’hui que l’aristocratie japonaise n’existe plus, il semble que le mot 切腹 . セップク soit le plus répandu.

Un nouveau suffixe honorifique

Je vous donne un nouveau suffixe honorifique : 御前. ゴゼン. Il se met uniquement après un nom de jeune femme noble, et toujours après le nom d’une femme samouraï ou d’une épouse de samouraï. À ne pas confondre avec 奥方 . おくがた qui N’est PAS un suffixe honorifique mais un mot désignant une femme issu de l’aristocratie et mariée.
Le suffixe honorifique 御前 . ゴゼン deviendra plus tard le pronom personnel .まえ que vous connaissez déjà. Attention toutefois. Le suffixe 御前 . ゴゼン s’écrit toujours avec le kanji tandis que .まえ s’écrit toujours avec le préfixe honorifique . Cela permet de les différencier à l’écrit.
Dans le film « Princesse Mononoke » d’Hayao Miyazaki, le personnage de Dame Eboshi en version originale est appelé エボシ御前 . エボシゴゼン.
Note : le saviez-vous ? Le titre de la série américaine « La Servante écarlate » en japonais est 「侍女の物語」.

Conclusion

Alors vous voyez maintenant comment l’Histoire peut nous apprendre quantité de choses sur l’origine d’un mot, son étymologie, sa signification et son évolution au fil des siècles. Comment des mots se créent, survivent, s’adaptent en voyant leurs significations changer pour correspondre à des transformations sociétales. Comment les écrits et préjugés des uns comme des autres peuvent transformer des personnages réels, humains en figures romanesques.
Je vais sans doute me répéter car je l’ai déjà dit maintes et maintes fois. Une langue, ce n’est pas que des mots, du vocabulaire, des règles grammaticales, de la conjugaison, des adverbes, des adjectifs et tout le tralala. Une langue, c’est aussi une histoire, une nation, un peuple. Et il faut comprendre l’Histoire de cette nation, de ce peuple pour mieux comprendre la langue.
Ouf, cette fois j’ai vraiment terminé. N’hésitez pas à relire ce cours, etcétéra, vous connaissez la chanson. Je vous donne à présent vos exercices, du thème et de la version. Pas besoin de description. Je vous laisse travailler.